On parle beaucoup en ce moment de » Sécurisation de projets « , pourtant, depuis le temps que les entreprises mènent des projets systèmes d’information, il y a-t-il encore besoin de les « sécuriser » ?
Alain Richard : Oui, c’est vrai, cela fait des décennies que les entreprises mettent en œuvre de nouveaux systèmes d’information. Pourtant très peu de projets (moins d’un tiers selon les études de référence dans ce domaine*) réussissent à atteindre leurs objectifs dans les délais et les coûts définis à l’origine. Pire, un quart en moyenne sont arrêtés en cours de route. Pour le reste des projets, ceux-ci aboutissent au prix de budgets, de délais dépassés ou de périmètre réduit. Et il y a fort à parier que les réductions de budget imposées aux entreprises suite à la crise économique actuelle viennent aggraver ce constat.
Le bilan est encore plus douloureux si l’appréciation du succès ou de l’échec est effectuée sur la base de la mesure des bénéfices réalisés effectivement, par rapport à ceux qui ont été « promis » au lancement du projet. De combien les stocks ont-ils été réduits ou de combien la disponibilité des produits a-t-elle été améliorée suite à la mise en œuvre d’un outil de supply chain ? A-t-on pu mesurer les gains de productivité liés à la mise en place d’un ERP ? Et si oui, sont-ils en ligne avec les attentes ? Il est souvent bien difficile de trouver une réponse positive à ces questions.
Face à de telles déconvenues, il nous est apparu nécessaire de mettre au point les moyens permettant à ceux qui se lancent dans un projet d’envergure, d’envisager avec plus de sérénité l’atteinte des bénéfices escomptés dans des délais et des budgets prévisibles.
* source : the CHAOS summary 2009 – the Standish Group
Quels sont les principaux risques d’échec ?
AR : Très peu de projets échouent aujourd’hui pour des raisons de technologie inadaptée ou déficiente. Par contre, à l’occasion de différentes missions de reprise en main et de réorganisation de projets que nous avons eu l’occasion de mener, nous avons identifié 5 zones de risques principales liées à des problèmes de cadrage, d’organisation ou de gouvernance.
1. Le ciblage des ambitions du projet et des moyens à mettre en œuvre pour atteindre ces ambitions
Beaucoup de projets en échec sont « mal nés » au niveau de la définition de leurs objectifs, de leurs plannings ou des moyens mis en œuvre.
Des objectifs flous ou non partagés par les acteurs concernés, des bénéfices non chiffrés, voire non déclinés en indicateurs font que le projet ne dispose pas de cadre auquel faire référence pour orienter les travaux ou prendre les décisions nécessaires.
Un planning irréaliste par rapport au temps incompressible de la réflexion ou de la réalisation va lancer le projet dans une course vers un délai qui ne sera de toutes façons pas respecté, même au prix de raccourcis qui eux même viendront mettre en péril la qualité de ce qui est fait. Inversement, un planning trop laxiste par rapport au niveau de priorité du projet risque de conduire à un enlisement du projet et in fine une perte d’intérêt sur le sujet.
Des moyens mis en œuvre sans rapport avec ce qu’il est nécessaire d’engager vis-à-vis des objectifs fixés vont faire que, n’ayant pas les moyens de ses ambitions, le projet va inévitablement prendre du retard, générer de la non qualité et créer de la frustration.
2. En cours de projet, la communication entre le projet et le reste de la vie de l’entreprise
Les priorités des métiers et donc celles attribuées au projet peuvent changer, provoquant une réallocation des ressources, de l’attention des dirigeants ou un changement de cap des orientations données au projet. Réciproquement, le projet, peut « s’isoler » par rapport au terrain en concevant et mettant en œuvre des solutions trop en avance ou décalées par rapport à ce que peuvent accepter les futurs utilisateurs.
Dans les deux cas de figure, le projet risque alors de perdre sa substance. Non aligné avec les priorités de l’entreprise, il va tomber « à côté ». Non cohérent avec la capacité d’absorption du changement par le terrain, le projet, au lieu d’améliorer la performance, désorganise le fonctionnement de l’organisation.
3. Le mode de travail et de relation entre les membres de l’équipe de projet
- Des commentaires comme « moi j’ai fait mon travail, à eux de faire le leur », « les informaticiens n’ont encore rien compris à mes besoins », « les utilisateurs demandent la Lune », sont autant d’indicateurs de dysfonctionnement de l’équipe de projet. Travaillant en silos étanches, chacun se sent responsable (au mieux) de son travail, mais aucun du résultat global. Aucune dynamique de construction commune d’un objectif partagé. Peu de chance d’atteinte la cible dans ces conditions !
4. La qualité du processus de décision et l’engagement des « porteurs d’enjeux » du projet
Décisions prises hors délai ou posées au mauvais niveau, choix ou arbitrages non transmis ou non intégrés par l’équipe de projet, alertes non gérées… ou non ciblées (« trop d’alertes tue l’alerte… »), etc. …. Tout ceci crée du désordre et de la perturbation dans un projet, et donc de la non qualité. Spirale infernale, ce désordre, vu par les « clients » du projet génère leur inquiétude… et parfois, de nouvelles mauvaises décisions.
5. Le pilotage proprement dit
Comment imaginer un projet réussi sans un pilotage de qualité, c’est-à-dire un dispositif structuré permettant d’organiser et suivre l’avancement des travaux, d’anticiper les risques, de préparer et faire prendre les bonnes décisions ? Pourtant, beaucoup de chefs de projet se plongent encore dans la technique au niveau de détail le plus fin en faisant passer après ce qui va permettre d’organiser, structurer les travaux et de fournir de la visibilité aux « porteurs d’enjeux » de leur projet.
Qui peut maîtriser ces risques ?
AR : C’est évidemment l’affaire de tous les acteurs directs (les membres de l’équipe de projet) ou indirects (décideurs, responsables opérationnels « clients », …) de la transformation.
Mais la conduite d’un projet d’ambition et de taille conséquentes est souvent une expérience inédite pour l’entreprise. Certaines tâches particulièrement complexes sortent du quotidien opérationnel, notamment, faire adhérer, impliquer et coordonner plusieurs « corps de métiers » différents (représentants utilisateurs, experts des technologies employées, architectes, exploitants, etc.…), rendre cohérentes les possibilités / contraintes du système d’information avec les enjeux de l’entreprise et les attentes, les besoins des métiers, gérer des circuits de décision, transverses, multidimensionnels et étendus.
C’est dans ces tâches complexes que se trouve l’essentiel du rôle du Chef de projet : organiser, orchestrer, coordonner différents intervenants internes et externes, planifier et contrôler l’exécution et la qualité des travaux et des livrables, permettre aux décideurs de faire les choix requis, fournir de la visibilité aux dirigeants sur le projet. Il s’agit d’un savoir-faire spécifique mettant en jeu des réflexes de travail, des méthodes et des outils généralement peu répandus au sein des entreprises.
Ce savoir-faire ne se substitue ni aux compétences métiers, fonctionnelles ou techniques nécessaires à la réalisation des travaux associés au projet, ni au management de l’entreprise pour la prise de décision et la responsabilité de changement au sein de l’organisation. Il complète ces différentes compétences en fournissant un cadre de cohérence des actions à accomplir, la visibilité nécessaire sur les options, les risques, les choix et les décisions à prendre.
Nous pensons que piloter un projet constitue un métier à part entière.
Quel retour d’expérience pouvez vous tirer de projets réussis ?
AR : Quelle que soit sa taille, le succès d’un projet est soumis à des règles intangibles d’organisation et de suivi :
1. Engager les acteurs du projet
Engager les acteurs du projet sur des objectifs et enjeux clairs, mesurables et partagés. Eléments fondateurs du projet, ces objectifs et enjeux serviront de point de repère tout au long des travaux.
2. Piloter le périmètre des changements
Définir, formaliser et piloter le périmètre des changements envisagés ainsi qu’un lotissement raisonnable fonction des ambitions de l’entreprise, des moyens mis en œuvre pour les atteindre et de la capacité d’absorption des changements par l’organisation. Une trajectoire ainsi définie, ambitieuse et réaliste, permet une mise en œuvre cadrée des transformations portées par le projet au sein de l’organisation.
3. Nommer un chef de projet interne
Nommer un chef de projet interne, responsable de l’atteinte des objectifs, de la réalisation et de la coordination des travaux. Chef d’orchestre du projet, il crée et anime la dynamique de projet et ses instances de gouvernance.
4. Mobiliser une équipe
Mobiliser une équipe dans le cadre d’une définition précise des rôles et responsabilités de chacun (acteur interne ou externe à l’entreprise) au sein de l’organisation de projet. Cette équipe est composée de « corps de métiers » différents, chacun de ses membres étant engagé solidairement sur des objectifs partagés, dans la transparence et sous un même système de pilotage. Chaque membre de l’équipe, chaque décideur, doit savoir ce qu’il a à faire, quand, avec qui et qui doit valider le résultat de son activité.
5. Structurer les instances et les outils d’arbitrage
Structurer les circuits, les instances et les outils d’information et d’arbitrage permettant de prendre, dans les délais requis, les décisions nécessaires à l’avancement des travaux. Il s’agit ici de fournir à chacun l’information dont il a besoin pour comprendre, décider et agir au sein ou par rapport au projet. Pour ce faire, un soin particulier est à donner à l’organisation des circuits de décision et d’arbitrage, la structuration des processus d’alertes et à l’implication des bons interlocuteurs dans ces processus.
6. Assurer un pilotage régulier et formalisé
Assurer un pilotage régulier et formalisé des activités, des livrables, des risques et des décisions. L’attention du chef de projet doit être en permanence portée sur l’instant (« où en est le projet ? ») tous en préparant et organisant les actions ultérieures.
7. Communiquer et préparer le changement
Communiquer régulièrement et préparer le changement au sein de l’organisation. Un plan structuré de gestion du changement, assurant un lien permanent entre le projet et le terrain doit permettre à chacun d’anticiper le contenu de ce qui est en train d’être réalisé et les implications futures sur le quotidien opérationnel de l’entreprise.
De façon plus générale, un projet réussit lorsque la recherche de la performance est au cœur de ses objectifs, ses moyens et son management. Etant entendu que la performance globale qu’atteindra l’entreprise après la mise en place du changement sera tributaire de trois facteurs majeurs : celle des processus, celle des équipes et celle des systèmes d’information. Ces trois facteurs étant intimement liés, la performance globale de l’entreprise ne pourra pas être supérieure à celle du moins performant des facteurs. C’est en pilotant ces trois niveaux de performance qu’un projet réussit.
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