Après l’obtention de son diplôme d’ingénieur à l’ENSIAME, Luc Mathiot est rentré dans le groupe Servair, filiale d’AIR France, spécialisée dans le catering aérien. Il a d’abord occupé des postes de management opérationnel au sein des sites de production puis s’est orienté vers les métiers du système d’information, comme manager à la DSI.
Après dix ans dans l’industrie, il a rejoint la DSI d’un éditeur de premier plan, le groupe SAGE, en tant que directeur des études et du développement. L’étape suivante s’est naturellement présentée, dans la responsabilité du Product Delivery de SAGE France, où il a combiné son expérience du management, sa connaissance du mode projet et son orientation client.
Luc Mathiot est actuellement VP Product Delivery, Europe du Sud, pour SAGE.
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Introduction
Concevoir les produits adaptés au marché, les livrer dans les meilleures conditions, en assurer le support, la maintenance et l’évolution, telles sont les trois conditions d’une activité pérenne dans l’édition informatique, en particulier quand il s’agit de traiter des problématiques de l’entreprise. Derrière cette réalité, il y a un métier, plus connu sous l’anglicisme « Product Management ».
Moins mis en lumière que le Marketing ou les Ventes, la fonction « Product Management » doit constamment concilier des perspectives différentes, souvent liées à l’organisation interne et aux individualités qui la dirigent, dans le but de répondre à cette simple question, pourtant essentielle : « quels sont les bons choix à long terme, pour notre activité et le marché que nous traitons ? ». Dans l’édition informatique, la technologie s’affiche souvent comme la meilleure réponse aux nouvelles demandes des clients. Et les communicants la mettent en avant comme un signe forcément sublime d’innovation, le nec plus ultra en termes de pérennité d’un progiciel, le véritable produit des éditeurs.
Afin de mieux faire connaître ce métier, nous avons interviewé Luc Mathiot, « VP Product Delivery, Europe du Sud » chez l’un des leaders mondiaux des progiciels d’entreprise, l’éditeur britannique SAGE.
Entretien avec Luc Mathiot
En France, les entreprises connaissent surtout SAGE pour ses progiciels comptables et financiers, ainsi que son ERP X3. Pourtant, l’entreprise est un des grands éditeurs mondiaux de solutions informatiques d’entreprise. Pouvez-vous nous dresser un panorama de ce qu’est SAGE aujourd’hui, autant en France qu’au niveau international ?
SAGE est le leader des éditeurs de logiciels de gestion sur le marché des petites et moyennes entreprises en France. C’est le 3ème éditeur de logiciels en Europe derrière SAP et Dassault. C’est également le 3ème éditeur de solutions ERP dans le monde derrière SAP et Oracle et devant Microsoft et Infor.
La proximité avec nos clients est une seconde nature pour nous, nous entretenons une relation de confiance avec eux grâce à notre écoute et l’adaptation de nos services. On peut dire que nous les connaissons bien maintenant que nous les servons depuis plus de 35 ans.
Nous cultivons en interne un esprit de haute performance qui nous permet de créer à vitesse élevée. Tout ceci est consolidé par un modèle de mécénat d’entreprise représenté par la Fondation SAGE car nous croyons en un monde socialement responsable. Nous aidons ainsi les collaborateurs et les organisations à apporter une contribution positive à la société en partageant notre temps, notre argent, notre expertise et notre technologie.
Vous êtes aujourd’hui VP Product Delivery chez SAGE. Tout d’abord, pourquoi, d’après vous, cette fonction a-t-elle été créée ? Qu’en attend on ? Quelle valeur apporte-t-elle à un éditeur informatique tel que SAGE ?
Auparavant, nous raisonnions de la manière suivante : le Product Marketing produit élaborait lui-même une roadmap produit sur la base de sa vision propre du marché et de ses besoins. La R&D se présentait donc en exécutant de cette roadmap ; son apport était concentré sur la maîtrise des développements (des spécifications technico-fonctionnelles aux tests, en passant par le code).
Nous avons créé la fonction du Product Management pour laisser le Product Marketing se concentrer sur la vision marché, la roadmap étant dorénavant élaborée par le Product Management, par itération avec les équipes de développements (pour la charge admissible) et avec le Product Marketing (pour l’arbitrage des priorités) jusqu’à validation de la roadmap.
Nous maîtrisons ainsi beaucoup mieux les capacités de développement et arrivons ainsi à optimiser les contenus des roadmaps. Nous délivrons donc plus en volume, et plus de valeur ajoutée pour nos utilisateurs. Le Product Delivery est ainsi responsabilisé sur les engagements en termes de contenus et de délais dans la roadmap. Les évolutions de vision du Product Marketing peuvent être très rapidement analysées et les impacts sur la roadmap clairement identifiés.
Quelles sont les interactions de votre fonction avec les autres directions de l’entreprise, telles que le commerce et le consulting ?
Les interactions de la fonction Product Delivery sont très fortes au quotidien avec le Product Marketing (pour les raisons que nous avons citées plus haut) et avec les services clients dans le cadre de l’amélioration continue et bien sûr pour assurer le support de niveau 3.
Nous sommes très à l’écoute de la stratégie du commerce et de ses évolutions en cours d’année, pour être force de proposition et délivrer des solutions en adéquations avec leurs besoins. Mais malgré tout, la relation forte avec le commerce est plutôt portée par le Product Marketing, qui détermine les prix, les opérations commerciales, etc…
Avec le consulting les relations sont fortement bilatérales. Ils sont en contact permanent avec les clients et implémentent les solutions que nous développons. Ils sont donc des utilisateurs avancés et privilégiés de nos solutions. Leurs retours sont très riches d’enseignements. Bien évidemment, nous les formons à tirer le meilleur de nos solutions et à en maîtriser les détails. Nous leur apportons également notre support au quotidien pour les problématiques les plus particulières.
Existait-il des nouvelles tendances du marché adressé par SAGE que vous avez dû prendre en charge à votre arrivée en tant que VP Product Delivery ? Si oui, quelles étaient-elles et comment les avez-vous appréhendées ?
Les nouvelles tendances du marché sont très clairement orientées vers le cloud et la connectivité avec un écosystème hétérogène. De plus en plus, nous voulons interagir avec les solutions professionnelles de la même manière que nous interagissons avec les solutions que nous utilisons quotidiennement à la maison.
Cette évolution des pratiques, met en avant également la criticité du sujet de la sécurité des logiciels que nous produisons mais aussi de tout le système d’information des entreprises. Nous y sommes évidemment très vigilants, et nous cherchons à accompagner la prise de conscience de nos clients PME sur les bonnes pratiques liées à la sécurité.
Nous avons maintenant une gamme de produits « cloud » qui couvre tous les segments de marchés de SAGE One pour les TPE, à l’ERP X3 pour les ETI. Nos produits « desktop » ne sont pas en reste non plus, allant de plus en plus vers de l’hybridation qui permet de dupliquer les données nécessaires vers le « cloud » afin de bénéficier d’avantages forts, liés à la mobilité.
Existe-t-il une semaine « type » dans votre agenda ? Si oui, comment la décrivez-vous ?
Je ne pense pas que l’on puisse parler de semaine type dans l’agenda d’un leader de ce type de service. Toujours est-il qu’il y a certaines récurrences que je prends très à cœur : l’écoute des clients, l’écoute des collaborateurs, un travail resserré avec mes directeurs qui déclinent la stratégie opérationnellement, les échanges avec les leaders des autres services, etc…
Nous sommes dans un monde ou les choses bougent vite, ou l’adaptation est nécessaire, et je me sens comme le chef d’orchestre de ces mouvements.
Vous avez eu un parcours riche chez SAGE et même avant, dans l’industrie. Comment êtes-vous arrivé à ce rôle de VP Product Delivery chez SAGE ?
Effectivement, j’ai commencé ma carrière sous un angle métier, dans le rôle de patron de la production puis d’exploitation dans le secteur aérien. Dans ce cadre, j’ai commencé à mettre un pied dans le monde des ERP en implémentant, en tant que maîtrise d’ouvrage, des progiciels, sur des périmètres fonctionnels très vastes : de la recherche et développement à la finance en passant par la gestion de la production et des approvisionnements.
J’ai eu l’opportunité de traiter ces sujets sur des zones géographiques de plus en plus vastes, en embarquant de plus en plus de collaborateur. Mon intérêt pour le domaine informatique m’a conduit à poursuivre dans le monde des logiciels et rejoindre la Direction des Systèmes d’Information dans le rôle de directeur des Etudes et du Développement, toujours dans le secteur aérien. J’ai poursuivi sur une fonction similaire chez SAGE en menant à bien des gros travaux de transformation du SI interne.
Ce qui m’a amené au poste de VP Product Delivery, il y a un peu plus d’un an.
Vous êtes progressivement passé des opérations en environnement industriel à la direction informatique dans le secteur du logiciel. En quoi vos différentes expériences vous aident aujourd’hui dans votre rôle de VP Product Delivery ?
L’expérience de la position du client final de progiciels et les réflexes d’y penser sans cesse sont des plus indéniables pour aller dans le sens de la satisfaction client. Mon expérience du management de grosses équipes, en environnement industriel, couplée à l’expérience des gros programmes de transformation et de développement qui nécessite la maîtrise des méthodologies pour respecter les engagements de périmètre, de sécurité et budget sont également de piliers pour assurer ce rôle.
Comme vous nous l’avez expliqué, SAGE est un éditeur très présent en France et à l’international, avec une gamme étendue de produits. Comment sont organisées vos équipes pour gérer une telle variété ?
Mes équipes sont physiquement présentes sur plusieurs sites en France, en Belgique et au Maroc. Nous travaillons selon les méthodes agiles, et nous avons créé des scrum teams de 8 collaborateurs en moyenne regroupant les business analysts, les ingénieurs de développement et les testeurs. Une scrum team travaille sur une technologie de développement et en général sur un seul produit. Bien sûr, un produit peut nécessiter plusieurs scrum teams.
Qu’attendez-vous de vos managers N-1 ? Comment fixez-vous leurs objectifs et de quelle façon les suivez-vous ?
Mes managers N-1 sont les directeurs de campus de développement, ainsi que les directeurs du Product Management, de la qualité, de l’expérience utilisateurs et de l’architecture. J’attends d’eux une déclinaison et une application opérationnelle de la stratégie au niveau de leur campus. Ils sont garants du respect des engagements pris au moment de l’élaboration de la roadmap, et accompagnent leurs équipes dans l’application des méthodologies agiles, mais également dans nos actions d’industrialisation (ALM notamment). J’aime qu’ils soient force de proposition pour sans cesse améliorer notre fonctionnement et les services que nous rendons à nos clients.
L’édition informatique suppose beaucoup de recherche et développement. Dans ce contexte, la gestion de la connaissance, des bonnes recettes à utiliser et des meilleures pratiques à diffuser est essentielle. En langage de consultant, cette gestion est appelée « Knowledge Management ». Quelles sont vos pratiques, outils et préconisations en la matière ?
Nous avons mis en place pas mal d’éléments en la matière : pour notre usage interne au Product Delivery, à destination du service clients, à destination des Professional Services. Ça va des classiques Knowledge Bases où les collaborateurs vont pouvoir retrouver la documentation liée à toutes les fonctionnalités, les choix, les architectures, à nos outils de maîtrise et d’optimisation des sources, en passant par les portails interactifs d’aide en ligne que nous mettons à disposition de nos clients. Nous sommes en mesure de vérifier, grâce à nos outils, la bonne utilisation de codes externes, sous licence ou non. Nous stockons et archivons, de manière sécurisée, tous nos développements pour pouvoir gérer, maintenir et faire évoluer nos progiciels efficacement.
Le secteur de l’édition informatique est très influencé par les évolutions, voire révolutions, technologiques. Comment organisez-vous cette veille technologique au sein de vos équipes ? Quelles relations entretenez-vous avec les laboratoires et centres de recherche ?
Il est très important à ce niveau d’être entouré de passionnés, notamment au niveau des architectes et des experts. Des gens qui vont rester à l’écoute des évolutions et seront en mesure de faire le tri entre ce qui est bon pour nous et ce qui l’est moins, et notamment qui seront capable de déterminer le bon moment pour y aller.
Cette passion dépasse le cadre des architectes, et j’encourage la force de proposition de l’ensemble des équipes en organisant des sessions de brainstorming sur des thématiques précises.
Nous sommes par ce fait en relation avec des laboratoires et centres de recherche pour capter les innovations opportunes, mais également nous sommes en capacité d’innover par nous-même en nous octroyant du temps et des ressources pour ce faire.
Lors de vos road-shows en clientèle ou vos présentations au marché, quelles sont les réactions de vos clients, de vos prospects voire de vos partenaires devant vos recommandations ou vos propositions d’innovation ?
Les réactions sont hétérogènes. Certains adorent voir les choses évoluer au sein de nos logiciels, d’autres aiment quand les choses restent stables. Il ne faut jamais négliger l’impact sur les utilisateurs d’un simple changement de couleur.
En général nous n’attendons pas les road-shows ou les présentations au marché pour recueillir et tester les réactions de nos clients. Nous cherchons à les intégrer le plus en amont possible dans notre cycle de développement. Ils participent à nos démos de fin de sprint, nous les invitons à travailler avec nous sur des spécifications de nouvelles fonctionnalités ou de nouveaux produits, nous avons mis en place des programmes « pilotes » de prélancement (beta)…
Pour terminer, quels sont les principaux challenges du « Product Management » aujourd’hui ? Et demain ?
Les principaux challenges du Product Management sont de concilier et concrétiser la vision du Product Marketing et le besoin d’innovation technologique avec la capacité de réalisation des équipes de développement.
Nous allons dans un sens ou le Product Management va devoir de plus en plus accompagner une transition vers le « continuous delivery » et la maîtrise complète de l’écosystème, bien au-delà d’une simple ligne de produits.
Thierry Biyoghe
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