Après avoir occupé des fonctions de Directeur Achats et Logistique dans un groupe cimentier, Denis Choumert est aujourd’hui président de deux associations, l’AUTF (Association des Utilisateurs de Transport de Fret) et l’European Shippers’ Council.
Grâce à sa connaissance du secteur et à travers le prisme de l’AUTF, il nous explique aujourd’hui son analyse sur l’affrètement de transport à l’ère digitale.
Pouvez-vous tout d’abord nous expliquer ce qu’est l’AUTF ?
L’AUTF est l’organisation professionnelle représentative en France des entreprises qui ont des marchandises à transporter (import/export/distribution) par tous modes (routier, ferroviaire, fluvial, maritime ou aérien). Elle rassemble 30 fédérations sectorielles et plus de 150 grands groupes et entreprises. Ces groupes ont généralement des chiffres d’affaires supérieurs à 500m€ et disposent d’équipes dédiées au transport.
L’AUTF apporte à ses adhérents des informations et des conseils (fiscalité, assurances, douanes, environnement, …) et assure une veille qui leur permet d’anticiper les évolutions du secteur. Les travaux de l’AUTF sont organisés autour de 5 types de transport (routier, ferroviaire, aérien, fluvial et maritime) et des douanes.
Quels sont les besoins des utilisateurs de transport ?
L’achat de transport dépasse l’aspect « coûts ». La logistique et les transports nécessitent des infrastructures, des moyens, mais aussi, des informations qui soient fiables et accessibles rapidement.
Par exemple, l’usage de documents de transports dématérialisés, comme la lettre de voiture, permet de réduire l’utilisation de feuillets manuscrits, limite ainsi les erreurs et évite la ressaisie dans les Systèmes d’Information. Les documents sont également plus facilement partagés et certifiés par des tiers. Mais cela n’est pas suffisant car le déploiement de ces solutions prend du temps.
Il est également important que les acheteurs de transport aient directement accès aux informations sans nécessairement passer par des intermédiaires pour respecter la confidentialité. C’est notamment le cas avec CCS (Cargo Community System) pour le suivi du transport et le dédouanement au niveau des ports de Marseille et du Havre.
Enfin, chaque acteur (ports, transporteurs,…) crée sa plateforme d’échange d’information, mais il faut que ces plateformes puissent aussi échanger entre elles : c’est l’interopérabilité des flux d’information.
A plus long terme, l’échange et la certification des documents de transport pourraient être assurés par la technologie « blockchain » et donc sans intermédiaire de certification. On peut aussi imaginer que toutes ces données transports soient ensuite retraitées à un très large niveau (européen) pour identifier les transports à risques.
Concernant l’interopérabilité des flux d’informations, les techniques de reconnaissances automatiques / sémantiques sont intéressantes. Ces outils permettraient de reconnaitre automatiquement le type de contenu dans un message. Ainsi, chaque plate-forme serait alors capable d’utiliser les informations nécessaires à leur fonctionnement, sans la nécessité de paramétrer quasiment champ par champ les interfaces pour chaque nouveau flux d’information. Cela permettrait à terme d’avoir des échanges plus souples de données.
Le deuxième besoin est l’augmentation des capacités de chargement des camions routiers.
Le poids total en charge est déjà passé à 44 tonnes il y a quelques années, mais il est envisageable à court terme d’augmenter la longueur d’attelage jusqu’à 25,25 m pour 16 à 18 mètres aujourd’hui. C’est une mesure aujourd’hui autorisée dans les pays scandinaves, et en cours de test en Allemagne, Belgique et Espagne.
Les évolutions technologiques vont aussi permettre d’augmenter les capacités de transport, avec le transport autonome, c’est-à-dire sans chauffeur. Une étape intermédiaire envisageable est le convoi sur autoroute : le premier camion est conduit par un chauffeur et d’autres camions suivent automatiquement sans chauffeur. Dans ce cas, une gestion des chauffeurs doit être imaginée. Les chauffeurs sont à nouveau nécessaires, quand les camions sortent des routes suffisamment balisées ou que le convoi se sépare lorsque le chemin n’est plus commun.
On parle beaucoup d’Industrie connectée 4.0, de grande variabilité de la demande, de la diversité des canaux de distribution (omnicanalité : e-commerce et commerces traditionnels) et aussi d’exigence des clients finaux friands d’instantanéité et de respect de l’environnement. Ces évolutions génèrent-elles de nouveaux besoins pour les affréteurs ?
Face à ces bouleversements, les utilisateurs de transport ont besoin d’amélioration du service et d’agilité.
Aujourd’hui, sur 37200 entreprises de Transport Routier de Marchandises, 97% ont moins de 50 salariés et 74% moins de 5 salariés. Les acheteurs de transport font de plus en plus appel à des prestataires capables de piloter cette diversité. Cette souplesse est ainsi principalement portée par les grands acteurs du transport.
Les opérateurs de transports et supply chain (4PL) proposent aujourd’hui à leurs clients des systèmes capables de récupérer toutes les données de transports, pour permettre de suivre et piloter la supply chain. C’est une offre qui est malgré tout limitée par son coût de mise en place.
Enfin, les clients ne sont pas toujours prêts à payer ce système qui ne leur appartient pas et n’est pas pérenne en cas de changement de fournisseur.
Les plateformes de transport qui mettent en relation les acheteurs et les transporteurs sont un autre levier d’agilité. La mise en relation affréteur-transporteur fait penser à la mise en relation de type « Uber » entre le chauffeur et le voyageur, à deux différences notables : du fait des réglementations, la plate-forme a un statut de commissionnaire en transport et le règlement/ facturation se fait directement entre l’affréteur et le transporteur.
L’avantage de ce système est qu’un transporteur peut ainsi trouver un client et éviter des retours à vide. L’usage est limité à des échanges de type « achat spot », ce qui ne répond donc pas à un besoin de flux régulier et il n’y pas d’interfaçage entre les TMS des utilisateurs et les transporteurs. Les utilisateurs de transport sont peu enclins à gérer manuellement ces flux dans leur système. Cependant, ces plateformes de transport poussent les commissionnaires classiques à proposer de nouvelles offres de services.
Au niveau de l’amélioration du service, les utilisateurs de transport sont demandeurs de respect des horaires de livraison. L’usage de « fenêtre de livraison » reste d’actualité, mais la génération en temps réel et automatique d’alertes de retard et de ré-estimation de l’horaire de livraison est intéressante. En effet, ces alertes peuvent permettre à l’utilisateur d’être moins tributaire des livraisons en retard, ce qui est préjudiciable dans un univers de flux tendu, et d’ajuster son dispositif de réception, voire d’ajuster son planning de production.
Comment l’AUTF et ses adhérents se positionnent-ils et agissent-ils sur le sujet du développement durable ? Malgré le Grenelle de l’environnement, et même plus récemment le programme Fret 21, le transport routier reste largement prédominant comparé aux autres modes des transports de type fluvial ou ferroviaire. Y a-t-il un réel besoin exprimé pour les transports « verts » ?
La France a été en avance sur ce sujet en passant notamment une loi pour l’affichage des émissions de CO2 en 2013. La numérisation et la mise à disposition, par exemple dans le cloud, de cet affichage aideraient les utilisateurs à réduire les émissions de CO2. Les utilisateurs sont demandeurs, dans un premier temps, de la réduction de l’émission de CO2 car cela va de pair avec la réduction de consommation de gazole et donc de coûts. Il arrive cependant un point ou la baisse de CO2 entraîne globalement un surcoût.
Il faut alors envisager des ruptures technologiques. Plus que le transport électrique, le marché s’oriente aujourd’hui vers le transport routier par gaz, puisque les tracteurs au gaz atteignent une puissance suffisante pour tracter 44 tonnes de charge. Le transport au gaz résout la problématique d’émissions de particules. Dans le cas du gaz naturel (issu de l’extraction), il y a toujours le problème d’émission de CO2, mais dans le cas du biogaz, le transport n’émet pas plus que lors du processus naturel de fermentation.
Pour favoriser cette transition diesel vers gaz, l’état intervient à plusieurs niveaux : en mettant en place une fiscalité plus avantageuse, en permettant une réduction de la durée d’amortissement, en distribuant des aides publiques pour développer le réseau de stations.
Comment voyez-vous l’AUTF aujourd’hui, alors que le transport entre dans l’ère digitale ?
Lorsque l’état a structuré le marché avec un cadre législatif et fiscal, l’AUTF a été un interlocuteur. Mais aujourd’hui le marché du transport évolue plus rapidement avec l’ère numérique, sous l’influence des acteurs du marché autres que l’état. Être un interlocuteur avec l’Etat n’est pas suffisant. L’AUTF a conscience de ce nouveau contexte et veille aujourd’hui à intégrer et à anticiper clairement ces évolutions en concertation avec les acteurs du marché.